DEFINITION
Un apatride est une personne qu’aucun Etat ne considère comme son ressortissant en application de sa législation. Etre considéré comme ressortissant, de par la loi, signifie que la personne concernée est automatiquement considérée un citoyen aux termes des textes juridiques de l’Etat relatifs à la nationalité, ou bien que la personne a obtenu la nationalité par décision des autorités compétentes. Par textes juridiques il faut entendre la constitution, un décret présidentiel ou une loi sur la citoyenneté. La plupart des personnes sont considérées comme ressortissantes de plein droit par les lois d’un seul Etat – habituellement les lois de l’Etat dans le lequel ces personnes sont nées (jus soli) ou les lois de l’Etat dont les parents desdites personnes étaient ressortissants à la date de naissance de la personne concernée (jus sanguinis). Lorsqu’une procédure administrative donne toute latitude pour l’octroi de la nationalité, les demandeurs de nationalité ne peuvent être considérés comme des ressortissants que lorsque leur dossier a été dûment rempli et approuvé et que la citoyenneté de l’Etat est accordée conformément à la loi.
Les personnes ayant à demander la citoyenneté et celles aptes à le faire d’après la loi, mais dont la demande a été rejetée, ne sont pas ressortissantes de plein droit de l’Etat concerné. Les personnes n’ayant pas obtenu la nationalité automatiquement ou par décision individuelle conformément à la législation d’un Etat sont réputées apatrides de jure : c’est-à-dire au regard de la loi applicable.
Toute personne est censée avoir une nationalité tant que rien ne prouve le contraire. Cependant, il arrive que les Etats avec lesquels une personne peut avoir des liens authentiques ne parviennent pas à déterminer lequel d’entre eux a donné sa citoyenneté à cette personne. Dans ce cas, la personne concernée ne peut faire la preuve de son statut d’apatride de jure, et ce, alors qu’elle n’a pas de nationalité et ne bénéficie d’aucune protection nationale. Une telle personne est considérée comme apatride de facto.
FONDEMENT JURIDIQUE
- La Déclaration universelle des droits de l’homme ;
- La Convention du 28 septembre 1954 sur le statut des apatrides ;
- La Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatride.
LES FACTEURS DES RISQUES D’APATRIDIE
- Exclusivité de la nationalité ;
- Défaut d’acte de naissance ;
- Procédure d’obtention du certificat de nationalité (centralisation + entendu du pays)
- Procédure de recouvrement de nationalité.
LES CAUSES DE L’APATRIDIE
Comment une personne devient-elle apatride ? Il n’existe pas de réponse unique à cette question. L’apatridie peut survenir de bien de manières. Ses causes sont multiples et variées et il est très ardue d’en faire une liste exhaustive. Néanmoins les principales causes peuvent être exposées. Une personne peut se retrouver apatride aussi bien dès sa naissance que plus tard au cours de sa vie. Les origines de cette intolérable situation peuvent être aussi bien d’ordre structurel que conjoncturel.
Les causes structurelles de l’apatridie
Par causes structurelles, il faut entendre les dispositions légales qui peuvent aboutir à la négation de la nationalité d’un individu. Tout d’abord l’apatridie peut être héréditaire : c’est-à-dire on nait apatride à cause de l’apatridie de ses propres parents. En dehors de l’hérédité, il s’agit concrètement des défaillances normatives en matière de nationalité, qui peuvent être autonomes ou liées au phénomène migratoire.
Les défaillances normatives autonomes en matière de nationalité
Elles se perçoivent en matière d’attribution et de retrait de la nationalité. L’attribution de la nationalité relève de la compétence discrétionnaire de chaque Etat. La nationalité peut être d’origine ou acquise plus tard. La nationalité d’origine peut s’acquérir par la naissance sur le territoire de l’État (jus solis) ou par le fait de naitre de parents qui ont déjà la nationalité de l’État (jus sanguinis). En l’absence de règles générales, il existe des divergences entre les différentes législations nationales qui constituent une source permanente d’apatridie. Beaucoup de lois sur la nationalité, adoptées dans les années 1960, ne sont pas pleinement conformes aux normes internationales contemporaines sur la prévention et la réduction des cas d’apatridie.
En matière de retrait de la nationalité, la législation peut également être source d’apatridie. On peut d’une part, perdre la nationalité volontairement. En principe, toute personne a le droit de renoncer à sa nationalité, sans qu’aucun obstacle juridique ne puisse l’en empêcher. Cependant la Convention de 1961 prévoit que les individus ne peuvent renoncer à leur nationalité que s’ils démontrent qu’ils possèdent ou vont sûrement acquérir une autre nationalité. Plusieurs législations nationales n’offrent pas une telle garantie. Bien au contraire, certains Etats exigent pour obtenir la naturalisation, la preuve de la renonciation à l’ancienne nationalité sans aucune garantie d’obtenir la leur, ce qui expose la personne désireuse de se faire naturaliser à un fort risque d’apatridie.
On peut d’autre part, perdre la nationalité de façon involontaire. En effet, la commission de certains crimes, peut entrainer une déchéance de la nationalité. Bien que la convention de 1961 interdise la déchéance de nationalité qui rendrait apatride sauf pour certaines circonstances strictement énumérées, certaines législations prévoient des critères plus larges que ceux autorisés par le droit international et permettent la déchéance automatique de nationalité pour des infractions de droit communs, sans aucune garantie de procédure.
Le changement d’état civil sous certaines circonstances, peut entrainer également un retrait de nationalité entrainant l’apatridie pour la personne concernée.
D’autres défaillances normatives ont un lien avec la migration.
Les défaillances normatives sur la nationalité liée au phénomène migratoire
La migration, déplacement durable de populations entre territoire de différends Etats est une grande cause d’apatridie. Qu’elle soit régulière ou illégale, subie ou volontaire, ancienne ou récente, la migration peut conduire à l’apatridie s’il y a rupture avec le pays d’origine. Cette rupture peut se faire soit par perte ou confiscation des documents d’identité entrainant l’impossibilité de prouver l’existence de lien juridique avec l’Etat d’origine ou par déchéance législative de nationalité en cas de résidence prolongée à l’étranger pouvant entrainer l’apatridie si ces migrants n’ont pas été naturalisés au préalable.
Les conflits de lois sont également une source importante d’apatridie liée au phénomène migratoire. Les migrations entrainent de fait un nombre important de mariages entre ressortissants de deux Etats et des naissances dans des Etats autres que celui d’origine de l’un ou l’autre des parents. Du fait des conflits de lois, certaines personnes peuvent tomber entre les mailles du filet juridique sur la nationalité et devenir apatrides. Par exemple, si l’Etat A sur le territoire duquel un enfant est né accorde la nationalité par filiation (jus sanguinis) tandis que l’Etat B dont les parents sont originaires attribue la nationalité en raison du lieu de naissance (jus solis), l’enfant se retrouve ainsi apatride.
Il existe de nombreuses autres causes d’apatridie en dehors des défaillances normatives.
Les causes conjoncturelles
Il s’agit des sources d’apatridie qui résultent d’évènements et/ou de pratiques circonstanciels. Elles sont également nombreuses et peuvent se traduire en défaillances administratives et en changements territoriaux ou géographiques.
Les défaillances administratives
Par défaillances administratives, il faut entendre les pratiques et manquements de l’administration susceptibles d’être source d’apatridie pour les personnes qui y sont confrontées. En la matière, les problèmes les plus courants incluent les lacunes au niveau de l’enregistrement des naissances, la mauvaise gestion des données de l’état civil et les mauvaises pratiques administratives. En ce qui concerne l’enregistrement des naissances, l’acte de naissance est un outil indispensable pour établir l’identité d’un individu.
Le défaut d’enregistrement des enfants à la naissance est dû au manque de sensibilisation et d’éducation des parents sur la nécessité de poser cet acte et constitue un obstacle sérieux à l’acquisition de la nationalité. Le mauvais fonctionnement des services publics en période de conflits est une cause supplémentaire de l’absence d’enregistrement des populations exilées et de l’absence de documents au retour pour prouver l’identité des enfants. Au niveau de la gestion des données, l’absence d’informatisation des registres d’Etat civil dans la plupart des Etats africains et les conditions de conservations inadéquates du papier de ces documents peuvent conduire à leur destruction au fil du temps ou par les conflits ou crises ou catastrophes naturelles.
Au niveau des pratiques administratives, certaines pratiques administratives discriminatoires découragent toutes démarches tendant à faire établir la nationalité, ce qui aboutit à l’apatridie des personnes victimes. En dehors des défaillances administratives, des mutations territoriales peuvent être sources d’apatridie.
Les mutations territoriales
Par mutations territoriales, il faut entendre les changements qui peuvent survenir sur l’un des éléments constitutifs de l’Etat qu’est le territoire. Ces mutations, qu’elles soient volontaires ou subies sont susceptibles de constituer une source d’apatridie pour les populations de ces Etats. Elles peuvent résulter d’une succession d’Etat, d’un conflit frontalier ou d’un changement climatique. La succession d’Etat peut être source d’apatridie dans l’hypothèse où les individus rencontrent des difficultés pour obtenir cette nouvelle nationalité. Certains Etats prévoient des mesures transitoires pour éviter l’apatridie mais d’autres introduisent des critères discriminatoires pour acquérir la nouvelle nationalité ; ce qui peut exclure les populations non autochtones ou qui ne sont pas nées sur le territoire.
Les plus importantes causes de l’apatridie étant connues, il faut s’intéresser aux conséquences que ce fléau a sur la vie des personnes affectées.
LES CONSEQUENCES DE L’APATRIDE
Les apatrides n’existent pas juridiquement. Il n’y aucune preuve légale de leur existence. Ils n’ont pas de personnalité juridique, ne peuvent poser aucun acte légal. Ils sont juridiquement invisibles alors qu’ils font partie de l’ensemble que constitue l’humanité. Dans ce contexte, les personnes apatrides deviennent de plus en plus conscientes du handicap de leur statut et doivent faire face aux conséquences aussi bien humanitaires que sécuritaires de leur situation.
Les conséquences humanitaires
L’apatride qui est frappé d’inexistence juridique est victime de violations de ses droits fondamentaux et ne peut bénéficier d’aucune protection internationale.
La violation des droits fondamentaux
Les droits humains sont en principe universels et inhérents à la nature humaine. En principe chaque être humain peut se prévaloir de tous les droits et libertés garantis par la DUDH sans aucune discrimination raciale, sexuelle, ethnique ainsi que des autres instruments juridiques de protection des droits de l’homme ratifiés par l’Etat sur le territoire duquel il se trouve. Cependant, dans la pratique, la jouissance de ces droits est subordonnée à la preuve d’une existence légale. Dans ces conditions, comment jouir des droits et libertés fondamentales si l’on n’existe pas juridiquement ? Comment exercer ses droits si l’on est dans l’impossibilité d’établir son identité Les apatrides, incapables de produire cette preuve sont alors victimes de violations de leurs droits fondamentaux, aussi bien civils et politiques, qu’économiques, sociaux et culturels. Victimes de tous types d’abus et sans accès à la justice de l’Etat sur le territoire de l’Etat sur lequel, il se trouve, l’apatride migrant ne peut non plus compter sur une protection internationale.
L’absence de protection internationale
Par protection internationale, il faut entendre, l’ensemble des moyens permettant à un individu d’être protégé dans l’ordre juridique international en cas de violation de ses droits fondamentaux. Cette protection peut être médiate, c’est à dire, assurée par un tiers qui principalement l’Etat. Elle peut également être immédiate et permettre à l’individu lui-même d’actionner lui-même les mécanismes de sa propre protection devant les instances internationales.
Les conséquences sécuritaires
L’apatridie peut être source de problèmes sécuritaires pour les Etats non seulement sur le plan interne mais également international.
Sur le plan interne
Les apatrides sont victimes de tout type de persécutions car ils ne jouissent d’aucune protection de la part des autorités étatiques. Ce sentiment d’impuissance et de frustration peut conduire à la radicalisation, à la révolte, source de tensions internes et devenir un élément déclencheur d’instabilité politique pour l’Etat. Ces problèmes sécuritaires dont l’apatridie peut être la source se rencontrent aussi au plan international.
Sur le plan international
L’apatridie peut être source de menace pour la paix et la sécurité internationales à un double niveau. D’une part, les apatrides, ne pouvant jouir d’aucun droit et ne bénéficiant d’aucune protection peuvent présenter une vulnérabilité certaine à l’exploitation par les groupes et organisations criminels. La population apatride est un terreau fertile de recrutement pour le terrorisme international. D’autre part, l’absence de règles internationales communes en matière de d’attribution de la nationalité et de procédures claires de prévention de l’apatridie peut faire naître des conflits interétatiques dans la détermination de la nationalité de certains groupes de personnes, ce qui est potentiellement une menace à la paix et la sécurité internationales.